Fabrizio ~ Do not worry about tomorrow until you have to.

Home. J’observe, le sourire aux lèvres, couché sur mon lit, ses petites mains qui s’agitent dans tous les sens. Je souris parce qu’à cinq ans à peine, Giulietta maîtrise mieux le langage des signes que moi l’italien à son âge. Lorsqu’elle termine, c’est à mon tour de me mettre à gesticuler, et ma réponse lui arrache un éclat de rire. Elle. Ma petite sœur, mon rayon de soleil, celle qui est devenue le centre de mon monde. Je suis aussi le centre du sien, elle m’a dit un jour. Je me redresse sur mon lit et tends mes bras vers elle, pour qu’elle vienne s’y blottir, comme à notre habitude. « Ti amo », elle me signe. « Ti amo anch’io », je lui réponds.

Concentration. Il fait beau dehors, ça me donne envie d’aller me promener. Mais je suis enfermé entre quatre murs avec des gens de mon âge qui semblent comprendre ce qu’il se dit là-devant, au tableau vert moche. Moi, j'y comprends rien. Les chiffres dansent devant mes yeux, semblent me rire au nez parce que je n’arrive pas à les suivre. Je baisse les yeux sur mon cahier. J’y ai griffonné quelques nombres, mais un dessin d’éléphant occupe la plus grosse partie de ma feuille. « Fabrizio ! » Je garde les yeux rivés sur l’éléphant au regard mort. « Guarduami quando ti parlo !» Je soupire et lève les yeux.  

The sound of our hearts. Mes doigts filent sur les touches du piano droit posé juste à côté du grand canapé du salon, contre le mur. Les yeux rivés sur ma partition, je fais tout pour ne pas manquer une seule note. Une erreur et tout est foutu, en plus c’est la honte. Quelques notes plus tard, j’observe du coin de l’œil Giulietta qui agrippe une chaise de la cuisine et vient la poser à côté du piano. Je souris et me mets à jouer un peu plus fort, tandis qu’elle grimpe sur la chaise et pose son oreille sur le sommet de l’instrument. Je la sens devenir toute joyeuse et un rire doux m’échappe. J’aimerais continuer à jouer éternellement.  

Magic fingers. Concentré, je mélange les couleurs pour trouver celle qui colle le mieux au paysage. Les vignes baignées dans la lumière d’un soleil couchant, un jour d’été. Je mets du temps à trouver le mélange parfait, mais je finis pourtant par poser mon pinceau sur la toile encore vierge, nullement dérangé par le chien qui aboie quelque part, ou la musique sourde d’une fête de village. Je sais que je dois faire vite parce que la nuit tombera à toute vitesse, mais mon esprit est, quant à lui, tout à fait serein.

Movin’ on from town to town. On a grandi, il faut le dire. « On », c’est Giu’ et moi. J’ai même de la barbe depuis un petit temps. Qu’il faut que je rase, d’ailleurs. Le truc c’est qu’il faut attendre d’être à l’hôtel de Griffith, et comme j’arrive pas vraiment à dormir dans l’avion, ça risque d’être vraiment long encore. Ma petite sœur s'est endormie contre mon épaule, je l’envie tellement. Pour passer le temps, je regarde quatre films l’un à la suite de l’autre, sans pause, peut-être que ça fatiguera mes yeux. Je soupire et finis par fixer la nuit noire par le hublot, impatient d'arriver dans ce nouveau pays dont j'ignore tout. Maman m'a dit que c'était aussi bien que l'Italie, et comme l'Australie est son pays natal, je la crois.

Shoes. Au fil des années, j’ai appris à réparer des chaussures comme un pro. Pas que des chaussures d’ailleurs, je sers aussi de plombier et de bricoleur à la maison. Comme quoi, les chiffres et la littérature, on en a pas forcément besoin pour gagner sa vie. C’est vrai que je ne gagne pas tant que ça au final, mais au moins je fais quelque chose qui me plaît. « I’ll take good care of your shoes, sir, I promise. » L’italien a laissé place à l’anglais, que je parle couramment depuis que je suis petit. J’ai presque plus d’accent, même si certains comprennent tout de suite que je viens d’ailleurs. Et à chaque fois, la fierté d’avoir du sang italien refait surface.  

Goodbye family. Ca fait quelque temps que j’ai déménagé à Melbourne. J’ai eu du mal à me séparer de Giulietta et inversement. J’étais son pilier, la seule personne à qui elle pouvait tout raconter, même ses secrets les plus importants, et voilà que je m’en allais. Il ne nous resterait plus que Skype et les réunions de famille annuelles pour voir nos mains d’adultes s’agiter dans tous les sens.