Ashley • fixed her heart and made it bulletproof

Je vis le jour dans cette petite ville de la côte ouest australienne. J’y grandis, avec pour seule compagnie une mère que sa séparation d’avec mon père avait rendue un peu aigrie, quoiqu’aimante et aussi présente que possible, et d’un lapin nain qu’elle m’avait offert peu après le départ de mon père, que j’avais intelligemment prénommé Dumbo. Mon père, lui, était parti alors que je n’avais que cinq ans. J’avais passé des mois à les entendre se crier dessus avant qu’il ne se décide finalement à prendre ses affaires et à accepter le boulot qu’on lui avait proposé en Nouvelle Zélande. Les belles promesses – il reviendrait me voir, m’appellerait, je viendrais en vacances, blablabla – le départ… Au final, j’eu seulement le droit à un gros chèque pour mon anniversaire, un autre gros chèque à Noël et en dehors de ça, mon père était aussi présent que l’homme invisible. La première leçon que m’appris ma mère, alors que je n’étais qu’une gamine, fut que l’amour ne m’apporterait que des ennuis et qu’aucun homme ne pourrait me blesser si je ne lui en donnais pas les moyens. Drôle de leçon à enseigner à une gamine, surtout quand la mère en question s’avérait être propriétaire d’une boutique de robe de mariée. Quelle ironie, vous ne trouvez pas ? Hypocrite, aussi, quand on sait qu’elle s’est remariée quelques années plus tard mais passons.

En grandissant, je gardais sans même m’en rendre compte cela en tête, l’absence de mon père ne faisant que confirmer les paroles de ma mère. Populaire à l’école depuis mes plus jeunes années, j’aimais plaire, être entourée, attirer l’attention et étais déjà capable d’obtenir à peu près tout ce que je voulais avec un joli sourire. Attention, n’allez pas m’imaginer non plus dans le rôle de la garce du lycée, qui marche sur tout le monde comme les américains aiment tant à en dépeindre dans leurs séries télévisées. J’avais certes mon petit caractère, cela ne faisait pas de moi celle qui s’amusait à rabaisser les autres dans les couloirs du lycée. Mais j’aimais m’amuser et je n’étais pas la seule. Je ne passais pas non plus mes mercredi après-midi à arpenter le centre commercial.

L’adolescence fut, comme pour beaucoup, une période plus délicate de ma vie. Finies les soirées pyjama, ce fut le temps des premières vraies soirées, des premières cuites, de mes premières histoires de cœur aussi. Et laissez-moi vous dire qu’il faut embrasser plusieurs crapauds avant de tomber sur le prince charmant. Ca m’était égal, je m’amusais et les enseignements de ma mère toujours bien présents dans mon esprit, je ne m’accrochais jamais. Jusqu’au jour où…

Personne n’aurait parié sur nous deux. La fêtarde populaire qui n’avait peur de rien et le garçon discret, timide même, auquel beaucoup ne prêtaient pas attention. Il me raccompagnait parfois en sortant de cours mais n’était jamais très causant, ce qui m’intriguait assez. Et puis, il était mignon, ce qui était un plus. Et pourtant, notre histoire dura un an et demi. Tout commença à une soirée, j’avais comme souvent bu plus que de raison et perchée sur le dossier du canapé en train de faire je-ne-sais quelle ânerie, pour changer, j’avais manqué de cabaner en arrière et de m’étaler par terre. Mais il était là et me rattrapa dans ma chute avant de filer sous mon regard médusé. Il était là. Il était toujours là, même quand je n’y prêtais pas forcément attention. C’est moi qui fis le premier pas. Et avec lui, les paroles de ma mère finirent par être oubliées ou en tout cas, rangées dans un coin de ma tête. Combien de personnes entendis-je dire, durant les premiers mois, que je finirais par lui arracher le cœur pour le piétiner sans le moindre remords ? Si seulement ils savaient…

Je suis tombée amoureuse de lui, purement et simplement. Moi qui avais la fâcheuse tendance à toujours être excessive, il me tempérait sans même s’en rendre compte et eut l’occasion de découvrir des facettes de ma personnalité que je gardais bien cachées aux yeux des autres. Dans le fond, je n’étais pas aussi égocentrique que je pouvais le laisser paraître, pas aussi je m’en foutiste et, à la surprise générale, j’étais bien plus romantique et sensible que je ne serais capable de l’admettre face à qui que ce soit, et ce même aujourd’hui. Et aussi beaucoup moins sûre de moi.

J’étais aussi incroyablement stupide et avais un don pour le sabotage que je ne suspectais pas. Mais un jour, alors que j’étais en soirée avec des amis, ils commencèrent à me taquiner sur notre relation. Le départ pour l’Université approchait, c’est cette période de la jeunesse où tout le monde s’éloigne, chacun prend un chemin différent, et rares sont ceux qui gardent contact. Rares sont également les couples qui y survivent, et les chances de survie diminuent encore un peu plus lorsque dans le lot, vous avez une demoiselle qui avait passé sa vie à attirer l’attention pour compenser le fait qu’elle n’avait jamais suffit à attirer celle de son propre père. J’ai détourné les questions et boutades de la manière la plus stupide qui soit : en parlant de notre vie privée. Et avec ma tendance à l’exagération, j’en ai fait des tonnes. Le lycée, c’est cette époque où les rumeurs vont bon train  et tout ce qui se dit n’est pas nécessairement à prendre au pied de la lettre.  Résultat des courses : mes dires se sont ébruités, ont été amplifiés à mesure que chacun en parlait, et ce qui devait arriver arriva : cela arriva aux oreilles de Nate. Quelques jours plus tard, j’étais célibataire. Moi qui avais œuvré tant de temps à éviter que qui que ce soit ne puisse me briser le cœur, je m’étais faite prendre à mon propre jeu. Je lui ai brisé le cœur, et j’ai brisé le mien au passage. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, paraît-il.  

Je fis semblant que tout allait bien. Rien ne pouvait atteindre Ashley Levine après tout, toujours souriante, toujours partante pour faire la fête ou n’importe quelle autre connerie. Toujours partante pour n’importe quoi qui lui changerait les idées surtout. [i]T’as merdé, c’est la vie. Tu t’en remettras ![i] tentai-je de me convaincre. C’était en fait le début d’une série noire pour moi puisqu’en l’espace de quelques semaines, je perdis Nate et manquais de perdre mon meilleur ami, Damian, encore une fois par ma faute.

Avec l’approche de la fin de l’année scolaire, les fêtes se multipliaient et c’est encore une fois en soirée que je me trouvais, faisant comme si de rien n’était et comme si le fait que Nathaniel soit présent avec cette garce de Sophia ne me rendait pas totalement folle. J’ai bu, encore et encore, dansé, et abusé d’autres substances qui circulent dans les soirées du genre pour la première fois de ma vie. C’était facile de faire semblant quand il n’était pas là, mais c’était beaucoup plus compliqué quand je le savais présent. Finalement, j’ai quitté la fête pour la plage. J’ignore combien de temps j’ai passé là, allongée sur le sable à admirer les étoiles avant de finalement sortir maladroitement mon téléphone de mon sac pour appeler mon meilleur ami. Je ne pouvais pas retourner à l’intérieur, et dans l’état où j’étais j’aurais été bien incapable de rentrer. Je n’étais même pas certaine que j’arriverais à me lever sans finir le nez dans le sable. Comme toujours, il ne me fallu pas insister longtemps pour qu’il accepte de venir me chercher. En dehors de Nathaniel, il était le seul qui me connaissait assez pour savoir que cette rupture était plus difficile que ce que je voulais bien montrer.

Ne le voyant pas arriver et ayant entre temps repris un peu mes esprits, j’ai quitté la plage pour rejoindre la route, me demandant ce qu’il fabriquait. Je commençais le chemin du retour à pieds, mon esprit noyé dans un épais brouillard. Il se dissipa quasi instantanément lorsque je vis la moto couchée sur le bord de la route et mon meilleur ami, inanimé sur le bas côté. Il a survécu, quoiqu’il passa quelques temps dans le coma, mais cela n’effaçait pas la culpabilité. Il avait prit la route par ma faute, sans moi ça ne serait jamais arrivé. J’aurais pu repousser mon entrée à l’Université de Perth mais je choisi de ne pas le faire. J’étais partie avant même qu’il ne reprenne connaissance et après une année pas très brillante académiquement parlant puisque je passais plus de temps en soirée qu’à étudier, je décidais qu’il était inutile d’insister. Je traversais une mauvaise période et j'avais besoin de changer d'air. J’avais passé ma vie dans une petite ville et ne connaissais pas grand-chose au final du pays où j’avais toujours vécu. Nous en avions parlé pendant des années avec Damian et cette envie ne m’avait pas quittée, même si le voyage se ferait sans lui.

Je passais deux ans à parcourir l’Australie et  la Nouvelle-Zélande aux frais de mon cher papa et des chèques qu’il m’avait envoyés depuis ce jour où il était parti, accompagnée de gens rencontrés en chemin. Moi qui aimais l’aventure et les sensations fortes, ces deux années me firent un bien fou. Je découvris nombre de choses, appris énormément autant sur le monde que sur moi-même. Au terme de ces voyages je repris le chemin des bancs de l’école pour terminer le diplôme commencé trois ans plus tôt.